Gilles Pétel


Romancier, photographe


Autoportraits

J’ai commencé à réaliser des autoportraits pendant le confinement, à l’époque du Covid. J’étais seul chez moi et comme tout le monde je tournais un peu en rond. Ce n’était pas la parole qui me manquait car aujourd’hui il est facile de prendre son téléphone pour joindre quelqu’un où qu’il se trouve. Non, j’éprouvais le besoin très commun de voir du monde et par là-même d’être vu. Car si personne ne nous voit, existe-t-on vraiment ? Je me suis rappelé le mot de Berkeley : « To be is to be seen”, “être, c’est être perçu”, traduit-on ordinairement. C’était bien cela qui me manquait, un regard autre que celui que me renvoyait chaque matin mon miroir. Et j’ai commencé à me photographier.
Était-ce une bonne idée ? Je ne le sais pas. Toujours est-il que j’ai continué à me prendre pour modèle bien après la fin de ce confinement. C’est une entreprise très curieuse de se photographier soi-même ou plutôt d’essayer de réaliser une image de soi, c’est-à-dire un double en somme. Je crois que c’est cela qui m’a motivé : puisque personne n’était là pour me voir, j’allais me regarder moi-même. Il y aurait donc moi et un autre que moi. Mais cette remarque montre l’impossibilité de mener cette tâche à son terme : c’est toujours un autre que moi que je saisis avec mon appareil, confirmant ainsi la célèbre phrase de Rimbaud : « Je est un autre ».
Conscient de ce paradoxe, je me suis rapidement orienté vers des sortes de mises en scène. Comme nous ne pouvons pas nous voir tels que nous sommes, dans une sorte de vérité brute, une vérité rêvée ou encore naturelle, vérité qui de toutes les manières n’existe sans doute pas, j’ai décidé de redoubler d’artifices : postures inhabituelles, maquillage, éclairages et perspectives variées. Me photographier est ainsi devenu un jeu dont il n’est pas certain que j’en sorte gagnant. Je ne cherche pas à produire une belle image de moi, connaissant depuis longtemps ce qu’il faut penser de ce pauvre moi qui est, selon le mot de Pascal, « haïssable ». Mais si le moi perd au jeu, peut-être qu’un autre, innommable, tire, lui, son épingle du jeu.



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Self-portraits

 I started taking self-portraits during the lockdown, during the Covid era. I was alone at home, and like everyone else, I was going around in circles. It wasn't the ability to speak that I lacked, as these days it's easy to pick up your phone to reach someone wherever they are. No, I felt the very common need to see people and, by extension, to be seen. Because if no one sees us, do we really exist? I remembered Berkeley's words: "To be is to be seen." That was precisely what I was missing, a gaze other than the one my mirror reflected back at me every morning. And I began to photograph myself. Was it a good idea? I don't know. The fact remains that I continued to use myself as a model long after the end of this lockdown. It's a very curious undertaking to photograph oneself, or rather to try to create an image of oneself, that is, a double, in short. I think that's what motivated me: since no one was there to see me, I was going to look at myself. There would therefore be me and someone other than me. But this remark demonstrates the impossibility of completing this task: it is always someone other than me that I capture with my camera, thus confirming Rimbaud's famous phrase: "I is another." Aware of this paradox, I quickly turned towards a kind of staging. Since we cannot see ourselves as we are, in a kind of raw truth, a dreamed or even natural truth, a truth which in any case probably does not exist, I decided to redouble my artifices: unusual postures, makeup, lighting and varied perspectives. Photographing myself has thus become a game from which it is not certain that I will come out a winner. I do not seek to produce a beautiful image of myself, having known for a long time what to think of this poor me who is, in Pascal's words, "hateful". But if the self loses in the game, perhaps another, unspeakable one, comes out on top.
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